Crise chez VolkswagenÀ Wolfsburg, les menaces de licenciements massifs inquiètent
«Tant que la prime arrivait, tout allait bien». Dans le fief du constructeur automobile allemand, la crise installe un climat délétère.
- Les menaces de fermeture pèsent sur trois sites de Volkswagen en Allemagne.
- Les ventes du groupe ont chuté de 15% en Chine au dernier trimestre.
- Volkswagen conditionne les discussions à une réduction de 10% des salaires.
- Le syndicat IG Metall évoque la possibilité d'une grève en décembre.
Dans le long couloir souterrain qui mène à la porte 17, les ouvriers de l’équipe de 14 heures, la mine sombre, n’ont ni le temps ni l’humeur d’évoquer les problèmes de leur employeur Volkswagen (VW).
Les menaces de fermeture de trois sites en Allemagne, de 10’000 licenciements et de baisse de 10% des revenus les tétanisent. «L’ambiance n’est pas bonne», glisse Heinrich, 22 ans de maison, avant de rejoindre le parking de l’usine.
Deux militants du Parti marxiste-léniniste d’Allemagne peinent à écouler leur pile de tracts dénonçant «l’offensive générale» menée par l’entreprise contre son «personnel».
Syndiqué à plus de 90%, ce dernier s’en remet entièrement à IG Metall pour défendre au mieux ses intérêts. C’est à un kilomètre de là, dans le stade Arena du FC Wolfsburg (14e de Bundesliga) appartenant tous deux à Volkswagen, que le syndicat a achevé un deuxième round de négociations salariales.
En début de matinée, le groupe avait annoncé une baisse de ses ventes (- 7% sur un an) au troisième trimestre et une chute (- 63,7%) de son bénéfice net, à 1,58 milliard d’euros. De quoi limiter les capacités d’investissement du constructeur dans cette période charnière que constitue la transition vers l’électrique.
Cette année, le résultat est notamment grevé par les restructurations entreprises chez Audi (fermeture à venir d’une usine en Belgique). Mais pas seulement. «Cela montre le besoin urgent de réduire considérablement les coûts et d’augmenter l’efficacité», a répété le directeur financier, Arno Antlitz. Selon la presse, la direction voudrait économiser 4 milliards d’euros.
Décrochage du groupe en Chine
La conjoncture chinoise concentre l’essentiel des craintes. La firme y accumule les retards sur le marché clé de l’électrique et ses véhicules, en majorité thermiques, sont délaissés au profit des marques nationales. Ses ventes y ont chuté de 15% au troisième trimestre.
Et pour la première fois, le géant du pays BYD, avec 2,3 millions d’unités écoulées sur les neuf premiers mois, vient de dépasser sur le marché chinois toutes les ventes confondues du groupe VW (Audi, Porsche, VW, Skoda…).
Bien évidemment, IG Metall, qui détient 20% des voix au conseil de surveillance de Volkswagen, n’ignore rien de ces difficultés. Mardi, la présidente du comité d’entreprise, Daniela Cavallo, avait mis en veilleuse sa revendication d’une augmentation salariale de 7%. Elle a exigé de la direction, sans l’obtenir, la présentation d’un «concept d’avenir viable pour tous les sites en Allemagne».
Volkswagen entend conditionner les discussions sur le plan de restructuration à l’acceptation préalable par IG Metall d’une réduction de 10% des salaires et l’abandon de primes. VW emploie 120’000 salariés dans le pays répartis sur dix sites dont six situés en Basse-Saxe, le navire amiral de Wolfsburg employant la moitié du personnel. Les partenaires sociaux marchent sur des œufs.
Le syndicat se dit prêt à se montrer «raisonnable». Mais il agite aussi la menace d’une grève à partir du 1er décembre. «En dénonçant l’accord de garantie de l’emploi, Volkswagen a ouvert la boîte de Pandore et mis en péril la confiance des salariés à l’égard de l’entreprise», a dénoncé Thorsten Gröger, chef de file des négociateurs.
Le syndicat IG Metall marche sur des œufs
Bien qu’associé à la cogestion, le syndicat se doit d’épouser l’humeur de Wolfsburg, la ville de 130’000 habitants qui doit sa seule prospérité à son usine, et dont les cheminées crachent ses fumées marron à la sortie même de la gare.
«Sans Volkswagen, Wolfsburg n’existerait pas et si cette usine devait fermer, cela signifierait la fin de Volkswagen», résume Markus Kutscher, le rédacteur en chef du journal régional, «Les Nouvelles de Wolfsburg», installé dans la rue de la gare. Dans son édition de mardi, face au regain d’intérêt des lecteurs, le quotidien consacrait pas moins de huit articles à VW.
Durant des décennies, l’alliance de raison a parfaitement fonctionné, nourrie par des bénéfices record, notamment venus de Chine. «Tant que le salaire est élevé, que le bonus arrive une fois par an et que la voiture de fonction stationne devant la porte, tout va bien. Mais dès que les problèmes surviennent, c’est aussitôt la faute du conseil d’administration», poursuit le journaliste.
L’opacité longtemps entretenue par le groupe autour du plan de restructuration a provoqué une poussée d’inquiétude. Des ingénieurs se rendent chaque matin à leur bureau pour s’y tourner les pouces jusqu’à la fin de la journée, explique l’un des intéressés. Or, «la peur n’est jamais bonne conseillère», philosophe Markus Kutscher.
Jusqu’à il y a peu, toute critique émise par le personnel d’atelier était prohibée et sanctionnée, la parole étant soigneusement filtrée par IG Metall. Et la petite révolution managériale entamée par le nouveau PDG Oliver Blume, qui a assoupli le code vestimentaire, insufflé un esprit de responsabilité et permis le tutoiement hiérarchique, tarde à conquérir les esprits.
Les politiques pointés du doigt
Pour Roland, technicien logistique, les problèmes de Volkswagen sont strictement liés à des causes exogènes: les barrières douanières instaurées par la Commission européenne contre les véhicules chinois, la fin de la prime d’achat à la voiture électrique en Allemagne, ou le manque d’investissements publics dans les stations de recharge.
Pas question de remettre en cause le groupe. «Les politiques sont très coupables», critique cet homme de 63 ans qui touchera bientôt sa retraite maison après 40 ans de carrière et un salaire «très confortable» dont il refuse de dévoiler le montant. Son père a travaillé 38 ans chez VW, sa fille s’y est fait embaucher il y a cinq ans et lui-même y a acquis son diplôme de technicien.
Le sexagénaire se souvient qu’en 2006, pour sauver ses usines déficitaires, Volkswagen avait mis fin à la semaine de quatre jours, enterrant un acquis majeur des années 90. Mais il n’est pas sûr que cette fois, le remède suffira. «Je pars au bon moment», conclut-il.
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